Les indices pensables. Episode 80, par Brunor

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80- « Comment sera-t-il  achevé, celui qui est à peine créé ? » 

Résumé des épisodes précédents* : Mais comment l’Homme pourrait-il devenir… dieu ?
Saint Irénée nous le fait comprendre, lui qui dans plusieurs passages de ses livres, enseignait que Dieu ne créé pas d’un coup comme les dieux païens magiciens mythologiques. Il prend le soin de créer par étapes et de respecter le temps de maturation de chacune de ces étapes qui sont montantes, et donc en opposition complète avec les mythes de la chute…


Au second siècle, saint Irénée, évêque de Lyon, insistant sur les étapes nécessaires à toute croissance, avait très bien compris que ces  étapes de maturation ne signifient pas un échec du Créateur ni une faiblesse de Sa part, encore moins une forme d’impuissance comme ricanaient les païens, mais un choix délibéré de Dieu.
Selon Irénée qui fait preuve ici d’une exceptionnelle intelligence spirituelle au milieu de ses contemporains et de ses pairs, ces étapes sont voulues par l’unique Créateur, il nous invite donc à adopter la juste attitude pour devenir ce qu’il appelle une « œuvre parfaite de Dieu » : «Comment donc serait-il Dieu,  celui qui n’a pas encore été créé Homme ? » Demande notre auteur.

Selon lui, nous sommes des créatures inachevées, c’est pourquoi il peut écrire que l’homme « n’a pas encore été créé Homme, c’est-à-dire Homme achevé»


Non seulement pour lui, l’humanité est à l’état d’enfance, comme on dit souvent en citant cet évêque, mais l'humanité est surtout « inachevée », ce qui est encore plus précis et qu'il le répète à plusieurs reprises. Ce que saint Irénée confirme dans la ligne suivante : « Comment sera-t-il  parfait, achevé,  celui qui n’est créé effectivement que depuis peu ? »


Près de deux mille ans plus tard, c’est cette même question que posera Maurice Blondel (1) : Quelles sont les conditions requises
pour que l’Homme créé
puisse entrer dans l’union à Dieu incréé ?
C’est « le point capital de la métaphysique chrétienne»
selon les termes du grand philosophe chrétien.


Saint Irénée poursuit en insistant sur les étapes successives : D’abord… ensuite… à la fin : « Comment sera-t-il immortel, celui qui dans sa nature mortelle  n’a pas obéi au Créateur ?  Il faut en effet que D’ABORD, tu respectes l’ordre humain, et ensuite, à la fin, tu participeras à la gloire de Dieu. »
Saint Irénée vient de nous dire ici que l’Homme est appelé à l’immortalité, mais qu’il est par nature mortel !
De quoi surprendre nos vieilles habitudes, nous qui avions été habitués à considérer « Adam et Eve immortels ».

Certes Adam, (=l’Homme, l'humain, l'humanité), a toujours été appelé à l’immortalité, mais pour Irénée, ici, l’Homme est « par nature mortel ». De fait, on voit bien dans le récit de Genèse que l’Homme doit se nourrir du fruit de l’arbre de vie pour éviter de mourir. Il est donc capable de l’immortalité par grâce mais non par nature. Quoi qu’il en soit, Unique est le Créateur de la nature et de la grâce.


Puis le texte nous dit : « … tu participeras à la gloire de Dieu. »
 
 Il s’agit bien toujours de la theiosis ou théosis, cette déification de l’Homme dont nous parlons depuis plusieurs chroniques* et qui était l’enseignement de l’Eglise dans les siècles, en ces temps où, avant de parler latin elle parlait grec. (Après avoir parlé hébreu !)

Saint Irénée le redit avec clarté : « Ce n’est pas toi qui te fais Dieu, mais c’est Dieu qui te fait. »
Il est beau de constater que cette dimension d’étapes était déjà présente, chez un Père comme lui, aux sources de l’Eglise indivise. Il manifeste ainsi à la fin du  IIe siècle, une étonnante actualité.

Car nous savons aujourd’hui, par les progrès de la  lecture du livre de la Création (2), qui est aussi le livre de la nature, que l’Univers est effectivement en cours de création, par étapes, depuis 13,81 milliards d’années.
Comme disait le Pape Benoît XVI « Il n’y a aucune contradiction entre évolution et création. » (31 octobre 2008). De même, Il n’y a pas de contradiction entre les progrès de la connaissance et la pensée de ce Père de l’Eglise, à ce sujet. (3)
Saint Irénée pose ensuite une question essentielle : Comment cheminer vers cette théiosis-déification ?
« Si donc tu es l’œuvre de Dieu, sois attentif à la main de l’Artiste qui te crée, et qui fait toute chose  en son temps. Présente-lui ton cœur  malléable et docile, et garde la figure dont t’a figuré l’Artiste; demeure humide (comme l’argile), de peur que, endurci, tu ne perdes l’empreinte de ses doigts... Si, aussitôt durci, tu rejettes son Art, et si, ingrat, tu te dresses contre lui, parce que tu as été fait homme; ingrat envers Dieu, tu perds en même temps  et son Art et la vie. »

Saint Irénée poursuit, cette théiosis est notre vocation, il s’agit toujours d’accomplir les paroles du Créateur : « faisons l’Homme » ensemble. Mais comme on peut le constater, la réalisation de cette œuvre n’est pas « automatique » car nous pouvons la faire échouer :
« Créer est le propre de la bonté de Dieu,  être créé est le propre de la nature l’homme. Si donc tu lui offres ce qui est tien, c’est à dire la foi en lui et la soumission, tu recevras son Art, et tu seras une œuvre parfaite de Dieu.

Mais si tu n’as pas foi en lui,  et si tu fuis sa main, la cause de ton INACHEVEMENT résidera en toi, qui n’as pas obéi, mais non en lui qui t’a appelé. Lui en effet, il a envoyé des gens pour appeler aux noces; ceux qui n’ont pas écouté son invitation  se sont privés du banquet royal.
Ce n’est donc pas l’art qui a manqué à Dieu; car Dieu est puissant pour susciter, à partir de pierres, des fils d’Abraham ; mais celui qui ne consent pas à l’Art de Dieu, celui-là est cause de son propre INACHEVEMENT. »
N’est-il pas saisissant de mesurer à quel point Irénée insiste sur la responsabilité personnelle  de l’Homme ? Il illustre sa pensée avec une métaphore, une parabole de la lumière :
« Ce n’est pas non plus la lumière qui a manqué de puissance à cause de ceux qui se sont rendus eux-mêmes aveugles. Mais la lumière demeure ce qu’elle est, ceux qui par leur propre faute se sont rendus aveugles demeurent dans les ténèbres. La lumière ne contraint personne par force, la lumière n’asservit personne. Dieu non plus n’use pas de violence, si quelqu’un ne veut pas garder son art. Ceux qui se sont séparés de la lumière du Père et ont transgressé la loi de liberté, se sont séparés par leur faute, puisqu’ils avaient été faits libres et maîtres de leurs décisions... » (4)


(A suivre…)
Brunor 
    *Voir les autres chroniques : https://fr.zenit.org/articles/dabord-hommes-ensuite-seulement-dieux-par-brunor/

  1.  Maurice Blondel (1861-1949)
  2. Selon le mot de saint Augustin, deux livres permettent de connaître le Créateur :
     « Le livre de la Révélation et le livre de la Création. On notera que les deux livres sont faits par étapes… Voir la chronique 2
  3. Ce qui ne constitue pas du tout une preuve de l’existence de Dieu, mais une porte d’entrée pour une réflexion sur le thème des étapes…
  4. Toute la citation de saint Irénée est tirée de Aversus Haereses, IV, 39- 2 et 3, dont le titre français est : « Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur » (livre IV).

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